Angola : la police tire à balles réelles, la société civile étouffée

8/1/2025

Depuis plusieurs jours, l’Angola est secoué par une vague de contestation sociale réprimée dans le sang. Ce qui avait commencé comme une grève des chauffeurs de taxi pour protester contre la hausse brutale des prix du carburant a viré au drame. À Luanda et dans plusieurs autres provinces, la police tire à balles réelles. Des scènes de terreur circulent sur les réseaux sociaux.

Un enfant a entendu sa mère, Ana Mubuila, se faire abattre et tomber  devant ses yeux. Elle laisse derrière elle deux enfants de 12 ans et 7 mois.

Selon l’allocution prononcée le matin du 1er août par le commandant général de la police angolais , Francisco Ribas Da Silva, la jeune maman « faisait partie des pilleurs ». Il légitime ainsi l’usage de la force par la police, affirmant que celle-ci n’aurait eu d’autre choix que de « se défendre ». Une déclaration qui suscite une vive indignation.

Dans ce climat de violence extrême, les journalistes sont menacés, les étudiants apeurés. Internet est coupé, les médias indépendants bâillonnés, et les voix dissidentes muselées. Une rupture sociale est en cours.

Une marche pour briser le silence

Une marche est organisée le 2 août à Paris, au départ de la Gare d’Austerlitz, pour alerter sur la répression en Angola et soutenir les familles touchées. La diaspora entend bien faire entendre ce que le pouvoir cherche à faire taire.

Répression et silence d’État

Mercredi 30 juillet, au lendemain des affrontements, un calme précaire régnait dans les rues désertes de Luanda. Un impressionnant dispositif militaire quadrillait la capitale, tandis que banques et commerces restaient fermés. Le bilan officiel, présenté par le ministre de l’Intérieur Manuel Homem, fait état de 22 morts (dont un policier), 197 blessés et 1 214 arrestations.

Les autorités dénoncent des pillages ayant visé 66 commerces. Mais pour la société civile, c’est le pouvoir qui est responsable de l’escalade.

« Ils lisent des communiqués, mais aucun responsable ne descend dans la rue pour parler à la population. Tout est paralysé, car la décision du président a été prise sans aucune concertation », s’insurge le journaliste Rafael Marques, interrogé par RFI.

Une colère qui gagne tout le pays

Après trois jours de violences, l’ONU a appelé à l’ouverture d’une enquête indépendante sur la répression sanglante.

La contestation s’étend à plusieurs provinces : Benguela, Huambo, Huila, Icolo e Bengo.

« Si le carburant augmente, tout augmente. C’est triste, mais c’est la seule manière de se faire entendre », explique Gildo Matias, rabatteur de minibus.

À Lubango, la police a admis qu’un officier avait tué un adolescent de 16 ans qui tentait de pénétrer dans les locaux du MPLA, le parti au pouvoir.

Parmi les plus de 1 200 personnes arrêtées, certaines sont déjà jugées, parfois en l’absence d’avocats.

« On juge des citoyens à la chaîne, 100 % pour participation à une émeute », dénonce Hermenegildo Teotonio, avocat mobilisé pour le droit à un procès équitable.

Sur les réseaux, Manuel Homem tente de calmer les critiques :

« Le droit de manifester est un pilier de la démocratie, mais la liberté ne doit pas être confondue avec la violence. »

Des propos jugés hypocrites par de nombreux observateurs, alors que plusieurs témoignages évoquent des exécutions sommaires.

« Des citoyens désarmés ont été abattus d’une balle dans le dos », accuse Serra Bango, militante angolaise des droits humains.

Une crise sociale profonde

Le gouvernement justifie la fin des subventions sur le carburant par la nécessité de financer la santé et l’éducation, selon les recommandations du Fonds monétaire international. Mais les partis d’opposition comme l’Unita et le Bloco Democrático dénoncent une politique économique « déconnectée de la réalité du pays ».

Les ONG, dont Amnesty International, pointent une utilisation excessive de la force par la police.

L’Angola, exsangue, semble au bord de l’implosion. Plus de vingt ans après la fin de la guerre civile, c’est aujourd’hui une nouvelle forme de violence qui frappe le peuple angolais : celle de la misère, du silence imposé, et des balles de l’État.