Malgré des années de propos misogynes, racistes et anti-avortement et homophobie, la mort de Charlie Kirk a déclenché un torrent d’hommages, jusqu’au vice-président américain. Une compassion publique qui contraste cruellement avec le mépris réservé aux victimes racisées.
Qui est Charlie Kirk ?

Charlie Kirk (1993–2025) est un militant conservateur américain, fondateur et dirigeant de Turning Point USA (TPUSA), réseau étudiant pro-Trump créé en 2012. Il était animateur de The Charlie Kirk Show, figure influente des campus, connu pour ses tournées et ses clips viraux « débattez-moi ». Porte-voix des courants anti-avortement, anti-immigration et anti-“woke”, il a servi de référence médiatique à une large partie de la droite trumpiste.
« Une insulte pour effacer un genou sur la nuque »
Le 5 octobre 2021, à Mankato (Minnesota), Kirk déclare face à son public :
« George Floyd [is a] scumbag. »
→ Traduction : « George Floyd est une ordure. »
En insultant George Floyd, Kirk ne s’en prend pas seulement à un homme tué sous le genou d’un policier. Il attaque la mémoire d’une victime et cherche à discréditer le mouvement mondial qui avait dénoncé le racisme policier après sa mort.
Or, les données fédérales sont implacables. Selon le Mapping Police Violence Project, les Afro-Américains représentent 26 % des personnes tuées par la police aux États-Unis depuis 2013, alors qu’ils ne constituent qu’environ 13 % de la population. Le Bureau of Justice Statistics ajoute que les personnes noires sont trois fois plus susceptibles que les Blancs d’être tuées par la police lors d’une interpellation.
La mort de George Floyd n’était donc pas un « accident isolé », mais le symbole d’un système documenté de violences policières disproportionnées contre les Noirs. C’est pour cette raison que des millions de personnes sont descendues dans la rue, aux États-Unis et dans le monde, pour réclamer justice et égalité. Ce mouvement a pris le nom de Black Lives Matter (BLM), et il a marqué l’une des plus grandes mobilisations antiracistes de l’histoire contemporaine.
En le traitant de « scumbag », Kirk ne se contente pas d’insulter Floyd : il nie la légitimité de cette lutte et délégitime la parole de toutes les victimes du racisme systémique. Ce mépris affiché galvanise sa base en donnant l’illusion que dénoncer les violences policières serait une faiblesse, alors même que les faits prouvent l’inverse.
« Prowling Blacks… target white people » : fabriquer une menace imaginaire
Le 19 mai 2023, dans The Charlie Kirk Show, il affirme :
« Happening all the time in urban America, prowling Blacks go around for fun to go target white people, that’s a fact. »
→ Traduction : « Cela arrive tout le temps dans l’Amérique urbaine : des Noirs rôdent pour s’amuser à attaquer des Blancs, c’est un fait. »
Ce prétendu « fait » est contredit par toutes les données fédérales. Le Department of Homeland Security (DHS) identifie depuis plusieurs années les extrémistes suprémacistes blancs comme la menace intérieure la plus persistante et la plus meurtrière.
Selon le Center for Strategic and International Studies (CSIS), plus de 66 % des attentats et complots terroristes domestiques aux États-Unis entre 1994 et 2021 étaient liés à des extrémistes d’extrême droite, majoritairement suprémacistes blancs. Les massacres de Charleston (2015) ou de Buffalo (2022), où des hommes blancs ont ouvert le feu sur des Noirs, sont des preuves sanglantes de cette réalité.
Les statistiques du FBI confirment la tendance : en 2022, plus de 50 % des crimes haineux raciaux visaient les Noirs. En comparaison, les crimes motivés par la haine des Blancs sont marginaux et ne représentent qu’une fraction des incidents recensés
Autrement dit, Kirk inverse totalement la réalité. Il fabrique un ennemi imaginaire, le « Noir rôdeur », pour nourrir un récit de victimisation blanche. Cette rhétorique ne repose sur aucun fait mais sur une peur raciale construite, qui alimente directement les thèses suprémacistes et banalise la haine.
Même une enfant violée doit accoucher : l’obsession de contrôler le corps des femmes
Le 8 septembre 2024, dans l’émission Surrounded sur YouTube, un participant lui demande :
« If you had a daughter, 10 years old, raped and pregnant, would you want her to carry the baby? »
→ « Si vous aviez une fille de dix ans, violée et enceinte, voudriez-vous qu’elle garde le bébé ? »
Kirk répond immédiatement :
« The answer is yes, the baby would be delivered. »
→ Traduction : « La réponse est oui, le bébé devrait être délivré. »
Il n’y a aucune ambiguïté : pour lui, même une fillette de dix ans victime de viol doit accoucher. Cette position incarne la logique extrême de son idéologie anti-avortement : réduire les femmes, et même les enfants, à de simples corps reproducteurs, niant leur dignité et leur santé.
Or, les données sont glaçantes. Selon le CDC, près d’une femme sur cinq aux États-Unis a subi un viol ou une tentative de viol. Le Bureau of Justice Statistics estime que plus de 60 % des violences sexuelles ne sont jamais signalées, ce qui laisse des millions de victimes invisibles.
La situation est encore plus dramatique pour les mineures. Le National Center for Missing & Exploited Children (NCMEC) rapporte qu’en 2022, il a reçu plus de 30 millions de signalements liés à des abus sexuels sur mineurs via sa plateforme CyberTipline. Si tous ne correspondent pas à des cas avérés, ce chiffre illustre l’ampleur vertigineuse du phénomène.
Les conséquences médicales sont connues : selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les grossesses précoces augmentent fortement les risques de mortalité maternelle, de fistules obstétricales, et entraînent des séquelles psychologiques durables (dépression, stress post-traumatique).
Exiger qu’une enfant de dix ans accouche n’est pas une « opinion politique » : c’est une négation de la science médicale, du droit international et de la dignité humaine. Les propos de Kirk nourrissent une idéologie qui méprise les victimes et alimente les discours masculinistes, pour qui le contrôle du corps des femmes reste un pilier idéologique.
« The great replacement strategy… » : du complotisme à la haine
Le 1er mars 2024, il affirme dans son émission :
« The great replacement strategy… at our southern border, to replace white rural America. »
→ Traduction : « La stratégie du grand remplacement… à notre frontière sud, pour remplacer l’Amérique blanche rurale. »
Cette théorie n’a aucun fondement. Le Census Bureau montre que la diversité démographique américaine s’explique par les naissances et migrations naturelles. Le DHS, lui, classe le « grand remplacement » parmi les récits conspirationnistes les plus dangereux, moteurs de la radicalisation suprémaciste.
Parler de « remplacement » est d’autant plus ironique que le seul cas avéré aux États-Unis est celui des Amérindiens. Entre 1492 et la fin du XIXᵉ siècle, la population indigène est passée d’environ 10 millions à moins de 250 000 personnes, selon le Bureau of Indian Affairs. Massacres (comme celui de Wounded Knee en 1890), famines organisées, épidémies délibérément propagées et déportations massives — notamment le Trail of Tears (la Piste des Larmes) — ont constitué un véritable génocide.
Les peuples autochtones ont été non seulement tués et déplacés, mais aussi effacés de la mémoire nationale, leurs langues, cultures et territoires systématiquement détruits ou assimilés de force.
En réalité, le seul « remplacement » qui ait marqué l’histoire américaine est celui des colons européens imposant leur domination au prix de millions de vies autochtones. Tout le reste n’est qu’une hallucination collective servant à nourrir la peur raciale et la haine politique.
De la haine au halo : la sanctification politique
Le 15 septembre 2025, cinq jours après son assassinat, le vice-président JD Vance anime The Charlie Kirk Show en hommage. Depuis la Maison-Blanche, il le salue comme une « voix courageuse » et promet de combattre la « gauche radicale ».
Dans les médias conservateurs, la tonalité est unanime : Kirk est présenté comme un père exemplaire et une victime. Ses années de propos haineux disparaissent derrière une image compassionnelle, presque sanctifiée.
Des rires sur nos morts, des larmes pour les leurs
L’hypocrisie ne s’arrête pas aux États-Unis. À Londres, lors d’une manifestation d’extrême droite, Éric Zemmour et Jean Messiha ont rendu hommage à Kirk. Pourtant, face aux victimes racisées, leurs réactions sont tout autres.
Après la mort de Nahel, assassiné à bout portant par un policier, Messiha a même organisé une cagnotte… pour le tireur. Elle a atteint près d’1 million d’euros. Pas un mot pour la famille de l’adolescent, mais une solidarité matérielle avec son meurtrier.
Aux États-Unis, la logique est la même. Après la mort de Kirk, l’administration Trump a lancé un appel à signalement pour identifier ceux qui s’étaient réjouis publiquement. Résultat : plusieurs personnes ont perdu leur emploi. Là où il est « acceptable » pour l’extrême droite de se moquer des morts racisées, critiquer la disparition de l’un des leurs devient une faute impardonnable, parfois sanctionnée socialement.
Et l’hypocrisie dépasse le champ politique. Donald Trump et d’autres personnalités conservatrices ont rendu hommage, mais aussi des artistes inattendus comme Coldplay, connus pour leurs discours en faveur de la tolérance et de la diversité. Le groupe est allé jusqu’à demander à son public de « donner de la force » à la famille de Kirk. Comment expliquer qu’un groupe progressiste exprime publiquement sa compassion pour un homme qui a bâti sa carrière sur la haine ? Sincérité, erreur, ou stratégie pour flatter une partie de leur audience ? La question reste ouverte.
Enfin, il ne faut pas oublier une autre cible de Kirk : la communauté LGBTQ+. Tout au long de sa carrière, il a multiplié insultes, moqueries et discours visant à délégitimer leurs droits. L’homme pleuré comme un « martyr » par l’extrême droite internationale a aussi contribué à marginaliser ces minorités.
Une compassion sélective et dangereuse
Le contraste est glaçant : on accepte qu’il soit légitime de rire ou de minimiser les morts des victimes racisées, mais on érige en martyr un homme qui a passé sa vie à nier leur humanité.
Charlie Kirk n’a jamais été ce « saint » que ses soutiens veulent dépeindre. Ses positions misogynes, racistes, homophobes et complotistes constituent un arsenal idéologique qui nourrit les extrémismes. Sa mort, récupérée politiquement, révèle surtout une vérité brutale : aux yeux de certains, la vie d’un idéologue haineux blanc vaut plus que celle de milliers de victimes racisées ou de femmes réduites au silence.