Quatre corps d’hommes ont été découverts dans la Seine, près de Choisy-le-Roi, le 13 août 2025. Un homme sans-abri d’une vingtaine d’années, connu sous l’alias « Monji », a été mis en examen pour « meurtres en concours ». L’hypothèse d’un mobile homophobe est activement étudiée par la brigade criminelle de Paris, confortée par des indices scientifiques et des liens entre les victimes, le suspect et le lieu de découverte des cadavres.
Ces meurtres ne surviennent pas dans un vide social. En France, les violences homophobes et transphobes connaissent une progression continue depuis plusieurs années. En 2023, le ministère de l’Intérieur a recensé 4 560 infractions anti-LGBT+, en hausse de +13 % par rapport à 2022. Parmi elles, 2 870 crimes et délits ont été signalés. En 2024, la tendance ne s’est pas inversée : 4 800 infractions ont été enregistrées, soit une hausse supplémentaire de 5 %.
Derrière ces chiffres, ce sont des agressions physiques, des insultes, des menaces ou du harcèlement qui rythment le quotidien de nombreuses personnes LGBTQ+. Selon SOS Homophobie, la banalisation de la haine est un phénomène préoccupant : « Ce qui nous inquiète, c’est la banalisation de la parole de haine. Elle se traduit par des insultes, du rejet, des moqueries, et cela crée un climat de harcèlement », alertait récemment Julia Torlet, présidente de l’association à France Info. L’affaire de Choisy-le-Roi s’inscrit donc dans un continuum de violences structurelles, où l’homophobie tue littéralement.
Des victimes invisibilisées à l’intersection de plusieurs vulnérabilités
Les victimes de cette affaire partagent un profil marqué par la marginalisation. Abdellah (21ans, algérien), Amir (26 ans, tunisien) et Sami (21 ans, algérien) vivaient en grande précarité et fréquentaient le même squat que le suspect. Le quatrième homme, Franz (48 ans, français), était résident de Créteil et connu pour fréquenter un lieu de rencontres homosexuelles près de Choisy-le-Roi. Leur point commun : être à la fois en marge de la société et ciblés par leur orientation sexuelle supposée ou leur fréquentation d’espacesLGBTQ+.
Cette double vulnérabilité : précarité économique, isolement social et appartenance à une minorité sexuelle ; les rend particulièrement exposés à la violence. Comme le rappelle le sociologue Arnaud Alessandrin, spécialiste des discriminations, « les populations LGBTQ+précaires cumulent les stigmates et se trouvent en première ligne face aux violences ». Le fait que trois des quatre victimes soient sans-abri et migrants souligne un mécanisme d’invisibilisation : leurs disparitions n’ont pas immédiatement mobilisé l’attention des institutions ni des médias, révélant à quel point certaines vies semblent compter moins que d’autres.
Les lieux de rencontre comme zones de danger
Les corps ont été retrouvés près d’un site connu pour le cruising, ces espaces publics où des hommes gays se retrouvent anonymement. Historiquement, ces lieux ont représenté un espace de liberté dans une société marquée par la stigmatisation et la criminalisation de l’homosexualité. Mais ils restent des environnements précaires, ni régulés ni sécurisés, oùles violences peuvent se déployer en toute discrétion.
L’existence de ces espaces rappelle une réalité : beaucoup d’hommes homosexuels, notamment les plus précaires, n’ont pas accès à des lieux de socialisation sûrs et inclusifs.Ils se retrouvent contraints de fréquenter des zones isolées où leur anonymat est une protection, mais aussi un risque. Le drame de Choisy-le-Roi illustre cette ambivalence : des lieux pensés comme refuges deviennent des pièges, faute de reconnaissance et de sécurisation. Cette situation interroge sur la responsabilité de l’État et des collectivités ocales à garantir des espaces de sociabilité sans danger pour les minorités sexuelles.
Réponses institutionnelles manquantes : tolérance coupable ou aveuglement ?
Le rôle des institutions dans cette affaire interroge. Le 5 août, le suspect avait été contrôlé par la police en possession des papiers d’identité de Sami, la troisième victime. Or, la disparition du jeune homme n’avait pas encore été signalée à ce moment-là, et le suspect a simplement été relâché avec une convocation pour recel (The Times). Quelques jours plus tard, un quatrième meurtre avait lieu. Cette séquence met en lumière les défaillances d’une chaîne institutionnelle qui n’a pas su anticiper ni réagir.
Au-delà de ce cas précis, la question se pose : les institutions françaises sont-elles suffisamment sensibilisées aux violences homophobes ? Plusieurs associations estiment que non. Selon SOS Homophobie, les forces de l’ordre et la justice manquent de formation spécifique pour identifier, qualifier et traiter les crimes homophobes, surtout lorsque les victimes appartiennent à des catégories déjà marginalisées (SDF, migrants). L’affaire deChoisy-le-Roi pourrait devenir un cas d’école révélant une tolérance coupable : la vie de victimes LGBTQ+ précaires semble peser moins lourd dans les priorités de la République.
Un fléau sociétal, et non des faits isolés
L’affaire des quatre cadavres retrouvés dans la Seine ne peut être analysée comme un simple fait divers. Elle révèle une mécanique plus large où l’homophobie, loin de se cantonner aux insultes, conduit à des violences extrêmes. En France, la répétition des agressions physiques et verbales contre des personnes LGBTQ+ témoigne d’une haine profondément enracinée, qui se nourrit de discours politiques, médiatiques et sociaux où lla stigmatisation reste banalisée.
Comme le souligne Julia Torlet (SOS Homophobie) pour France Info, « cette parole de plus en plus libre dans son hostilité se traduit par des insultes, du rejet, des moqueries... qui créent un climat de harcèlement » . En d’autres termes, ces crimes ne sont pas une anomalie : ils sont l’expression la plus radicale d’un phénomène sociétal. Tant que l’homophobie continuera de se banaliser, les violences extrêmes resteront possibles.
Si les enquêtes confirment le mobile homophobe, cette affaire viendrait rejoindre une série de crimes meurtriers liés à l’orientation sexuelle en Europe. En Espagne, Samuel Luiz, un jeune homme gay de 24 ans, avait été battu à mort en 2021 à La Corogne aux cris de «maricón », un meurtre qualifié de crime homophobe par la justice espagnole. En France, plusieurs associations alertent depuis des années sur le risque de voir des passages à l’acte extrêmes se multiplier dans un climat où la haine anti-LGBT se banalise. À l’heure où les signalements atteignent des records, cette affaire pourrait marquer un tournant : celui où l’homophobie cesse d’être envisagée comme une « violence ordinaire » pour être reconnue comme une menace mortelle qui appelle une réponse politique et judiciaire d’ampleur.