Mardi 8 avril a eu lieu le premier concert à l’Accor Arena de La Fouine, rappeur originaire de Trappes et artiste qui comptabilise 2 décennies de carrière. Cette soirée a été l’occasion pour ses fans de chanter les titres les plus emblématiques du rappeur. Mais ce qui a tourné sur les réseaux au lendemain du concert est une vidéo de l’artiste reprenant avec son public le refrain tiré du morceau « Du ferme » et en le modifiant pour entonner « Elle a pris 5ans piges…Marine a pris du ferme » en référence aux déboires judiciaires de la député Marine Le Pen.
De la politique dans le rap, cela semble être étonnant en 2025 et pourtant cet art musical et culturel puise ses origines dans le hip hop apparu dans les années 70 dans les ghettos américains. Le rap est donc un genre d’expression revendicatif où ce que l’on dit a une place importante car permet de véhiculer des messages politiques. Dans l’histoire du rap en France, il y a eu différentes vagues qui ont chacune amené un courant différent. Du rap léger et funky porté par MC Soolar, IAM ou encore Doc Gyneco en passant par le rap plus hardcore avec NTM, Il y a un large choix de catalogue. Le groupe NTM, composé de Kool Shen et Joeystarr, a été le premier groupe de rap à assumer faire de la politique tant dans leur musique qu’en dehors de studios d’enregistrement. Ils ont été condamnés en 1996 pour outrage à la police lors d’un concert organisé pour protester contre la victoire du Front National aux municipales de Toulon à de la prison ferme et une interdiction de pratiquer leur musique durant 6 mois. Ce sont les premiers à subir une interdiction de rapper et le boycott qui en a suivi. Le groupe multiplie les attaques envers le FN, qu’ils en font leur premier ennemi, dénonçant la montée de l’extrême droite ainsi que les injustices sociales, porte-parole des malaises de la jeunesse. Dans leur morceau « Qu’est-ce qu’on attend » ce sont des paroles appelant à la révolte d’une génération « Mais qu'est-ce qu'on attend pour foutre le feu ? Qu'est-ce qu'on attend pour ne plus suivre les règles du jeu ? » S’en suivront après eux une génération de rappeurs conscients du monde dans lequel ils évoluent et de l’écho de leur art au sein des minorités.
Le flambeau de la révolte est repris par le groupe Sniper formé en 1997 composé de Tunisiano, Blacko et Aketo. Dès 2003, le groupe est attaqué par le ministre de l’intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, qui les qualifie de « Voyous qui déshonorent la France » et dépose une plainte. Des accusations d’antisémitisme seront même portées en leur encontre. Les attaques du Ministre Sarkozy vont conforter les militants du Bloc identitaire à faire des pressions auprès des élus pour interdire les concerts du groupe. En 2001 les rappeurs font une réponse en chanson en ces termes « Derrière un clavier, leur propagande est sur le web. Ils parlent de libérer la France de cette islamisation. Appellent à brûler les mosquées et à la mobilisation. Ils ont pris nos textes mais déformé nos propos. Sorti les phases de leur contexte en nous traitant de fachos ». Cette première polémique va renforcer le bras de fer entre le milieu du rap et les politiciens. Le genre musical sera scruté et méprisé, devenant la cible privilégiée de certaines personnalités politiques et faisant débat au sein même de l’Assemblée nationale. Nadine Morano, alors député, avait déjà porté lors d’une Question au Gouvernement une critique sur le groupe de rap l' accusant d’attiser la haine. Ces attaques ne font pas pour autant taire les jeunes rappeurs qui répliquent 2006 avec le morceau « Brûle » qui sort 1an après les émeutes survenues à la suite de la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré et fait trembler la politique française. Le groupe dénonce, pointe du doigt et appelle au vote la seule arme que possèdent les quartiers contre des politiques qui vont contre leurs intérêts. Tunisiano tacle Nicolas Sarkozy qui voulait nettoyer les cités au karcher, « Il parle de karcher, divise la France en deux. Sarko t’offre un lavage à l’éléphant bleu. Mais ce qui est malheureux c’est que l’on brûle le peu qu’on a, alors qu’il suffirait de voter pour incendier ces connards ». La question du traitement de ceux qu’on appelle « les enfants d’immigrés » et le glissement de la sphère politique vers l’extrême droite sont dénoncés par Aketo dans le même texte « Jeune issu de l'immigration comme ils aiment tant le rappeler. Ça fait 30 ans qui font que parler d'intégration. Je ne me sens pas français, force est de constater que l’on sait […] De plus en plus tu sais tous ces mythos font leurs buzz sur l'insécurité, jouent sur la peur des gens. N'hésitent pas à draguer l'électorat du Front ». Le clip illustre la manipulation faite dans les médias quand on parle des médias et de la discrimination à l’embauche que subissent les minorités. Un débat qui revient souvent dans certains discours de politique qui n’hésitent pas à parler de « régression ethnique » ou encore de « Dans la même période, un autre rappeur, Monsieur R devient la cible d’un député de droite qui va jusqu’à demander l’interdiction de l’album nommé « Politikment Incorrekt » le rappeur va se défendre des accusations à la provocation en disant vouloir « mettre sur la place publique le débat sur le passé colonial de la France ». C’est ce que fera en 2012 Kery James, rappeur connu pour son éloquence et ses textes engagés, dans Lettre à la République. Un texte dur qui veut rappeler le rôle de la France dans le commerce triangulaire puis dans la colonisation qui sont les résultats d’une immigration qu’aujourd’hui elle accuse de tous les maux.
La droite et l’extrême ont toujours travaillé ensemble pour stigmatiser le rap. Eric Zemmour le qualifie même de « Sous-culture d’analphabètes » dans une émission de 2009. Dans son mépris, il joue au jeu des comparaisons avec le slam qu’il estime plus intellectuel en opposant d’Abd Al Malik à Youssoupha. Face à ces attaques, les rappeurs répliquent contre le polémiste notamment dans « A force de le dire » où Youssoupha dit « Je mets un billet sur la tête de celui qui fera taire ce con d’Eric Zemmour ». Cette phrase lui vaudra un procès qu’il gagnera en 2012 en appel, la même année sort l’opus « Menace de mort » qui est un point final à son clash avec Eric Zemmour. Le rappeur réuni quelques noms de l’industrie pour rappeler l’enjeu politique de leur musique en ces termes « Qui peut prétendre faire du rap sans prendre position ». Dans la catégorie de prise de position, on retrouve également Médine, rappeur venu du Havres n’est pas le dernier lorsqu’il s’agit d’évoquer l’actualité dans sa musique. En 2015 il sort « Don’t laïk » dans lequel il dénonce l’instrumentalisation de la laïcité par les acteurs politiques de droite à des fins discriminatoires envers les personnes musulmanes. En 2021 il est qualifié par Aurore Bergé de « rappeur islamiste ». Médine devient alors la nouvelle cible des politiciens et comme Sniper, il est accusé d’antisémitisme. En 2023 il doit essuyer une nouvelle polémique autour de sa venue aux Universités d’été du groupe d’Europe écologie les verts, faisant face aux accusations et invectives de la droite et du centre liés à des propos tenus par le passé. Une situation qui nous rappelle celle de Black M en 2016, invité aux commémorations du centenaire de la bataille de Verdun, l’invitation a été retirée à la suite de pressions politiques en cause, les paroles d’une chanson du groupe Sexion d’Assaut sortie en 2010. Le rappeur est désigné comme « anti-France, homophobe et antisémite » selon Robert Ménard, maire de Béziers.
La critique du rap fait l’unanimité au sein de la sphère politique, réunissant la droite plus classique à l’extrême droite la plus raciste et négationniste. L’exemple en est avec Henry de Lesquen, récemment condamné pour provocation à la haine et contestation de crime contre l’humanité. L’ancien candidat autoproclamé à la présidentielle avait déclaré en 2016 que « la musique nègre s'adresse au cerveau reptilien » en parlant du rap. La réponse du monde de la musique ne s’est pas fait attendre. Le rappeur Kery James accompagné de Lino et Youssoupha avait alors sorti le morceau « Musique Nègre » Détournant les paroles d’Henry de Lesquen, le trio a énuméré les clichés alloués au monde du rap. Le clip réunit de nombreux artistes du milieu comme Orelsan, Médine, Fianso, Tunisiano pour ne citer qu’eux. C’est un moment de réappropriation de leur art, les rappeurs revendiquent l’expression « musique nègre » qui se voulait insultante et Youssoupha habillé en membre de l’académie française est un beau pied de nez aux critiques. Kery James n’est pas novice lorsqu’il s’agit de prendre position. Déjà en 2012 dans Lettre à la République dans laquelle l’artiste veut mettre la France face à ses responsabilités sur son passé coloniale. Un morceau qui n’a pas été apprécié de tous et qui a valu un débat par lettre interposée avec le philosophe Raphaël Enthoven, qui a accusé son auteur de « combattre le racisme avec les règles du racisme ».
On pensait que le rap politique était écarté du genre avec la nouvelle génération qui est devenue apolitique. On a eu une phase où les rappeurs se sont désengagés de la politique tant dans leur musique que dans leurs interviews, se contentant de faire de l’ego trip Cette phase correspond aussi au moment où la société elle-même et plus précisément la jeunesse s’est désengagée, ce qui rappelle que le rap est avant tout le reflet de la société. Ce rejet de la politique a permis d’assister à des scènes encore inimaginables il y a 20 ans comme l’invitation de Rachida Dati, ministre de la Culture issue d’un parti de droite, à une émission de rap ou encore voir côte à côte Gims et Nicolas Sarkozy. Ne pas évoquer les choses qui peuvent fâcher permet l’ouverture du rap aux médias mainstream. Les rappeurs ne sont plus limités aux médias spécialistes dans le genre. Il n’est plus rare d’avoir une promo sur RTL à la radio ou encore C à Vous ou Quelle époque sur France télévision comme on a pu le voir dernièrement. Mais aujourd’hui avec la menace de l’extrême droite, certains rappeurs reprennent leur position militante encouragés par leur public comme on a pu le voir durant les élections législatives de 2024. Ils sont invités à prendre la parole auprès de la jeunesse. C’est ce qu’un collectif composé d'une vingtaine de rappeurs a fait en juillet 2024 à la veille du second tour des élections législatives avec le morceau « No pasaran ». Ce morceau, vivement critiqué par certains, avait pour ambition d’inciter aux votes. Reprenant les codes de leurs aînés, notamment de Diam’s en 2007 lors des élections présidentielles durant lesquelles l’artiste avait activement milité contre le candidat Nicolas Sarkozy mais également contre Marine Le Pen. Déjà en 2004 la rappeuse avait fait parler d’elle en sortant le titre « Marine » pour dénoncer le relais qu’est Marine Le Pen pour les idées racistes de son père. Le titre va renaître du passé durant les législatives de 2024, le refrain « Moi j’emmerde le front national » repris par la nouvelle génération déterminé à faire barrage à l’extrême droite annoncé vainqueur.