Plus de 1,9 million de personnes ont signé une pétition contre la loi Duplomb, adoptée débutjuillet par l’Assemblée nationale. Face à cette contestation inédite, le gouvernement se ditprêt à rouvrir le débat, tandis que le Conseil constitutionnel doit se prononcer le 7 août.
Adoptée le 8 juillet, la loi Duplomb entend « lever les contraintes » pesant sur les agriculteurs. Portée par le sénateur Les Républicains Laurent Duplomb, elle prévoit notamment la réintroduction encadrée d’un pesticide controversé, l’acétamipride, ainsi qu’un assouplissement des normes encadrant l’élevage intensif et la construction d’ouvrages de stockage d'eau, comme les méga-bassines.
Mais le texte a été adopté sans débat. Une motion de rejet préalable, déposée par ses propres défenseurs, a permis d’éviter l’examen en séance des centaines d’amendements déposés par l’opposition. Cette procédure, bien que conforme au règlement de l’Assemblée Nationale, a été vivement dénoncée à gauche, où l’on y voit un déni démocratique.
Une mobilisation inédite
Dès sa publication, une pétition citoyenne lancée en ligne contre la loi a rassemblé un nombre de soutiens sans précédent. Le cap des 100 000 signatures a été franchi en quelques heures. Moins de deux jours plus tard, la barre du million était atteinte. Au 25juillet, plus de 1,9 million de personnes avaient signé, établissant un record historique sur le site de l’Assemblée nationale.
Ce mouvement s’est rapidement élargi au-delà des cercles militants. Le monde de la restauration, d’ordinaire peu engagé dans le débat législatif, s’est emparé du sujet. Près de400 chefs, parmi lesquels plusieurs figures étoilées, ont co-signé une tribune dénonçant les dangers du texte. « Nous faisons ce métier pour nourrir, pas pour empoisonner », y affirme-t-on. À l’origine de cette vague, le chef Jacques Marcon a interpellé publiquement le sénateur Duplomb dans un post Instagram largement partagé.
Une loi encore contestable
La mobilisation citoyenne a trouvé un écho au sein du Parlement. Plusieurs groupes de gauche ont saisi le Conseil constitutionnel, estimant que le texte viole la Charte de l’environnement et le principe de précaution. Ils dénoncent aussi les conditions de son adoption, considérées comme contraires à un débat parlementaire transparent. Le Conseil rendra sa décision le 7 août.
En parallèle, la ministre de l’agriculture, Annie Genevard, a déclaré que le gouvernement était « disponible » pour un nouveau débat à l’automne. L’exécutif pourrait également, en dernier recours, faire usage de l’article 10 de la Constitution, qui permet au président de laRépublique de demander une nouvelle lecture du texte par le Parlement avant promulgation.
Quels recours concrets pour les citoyens ?
Malgré son succès, la pétition en ligne n’a pas de portée juridique directe. Depuis la réformede 2019, une pétition recueillant plus de 100 000 signatures peut être étudiée par lacommission des lois de l’Assemblée, et éventuellement déboucher sur un débatparlementaire. Mais rien n’oblige le gouvernement ni le législateur à modifier la loi.
D’autres mécanismes existent, mais restent complexes. Le référendum d’initiative partagée, par exemple, permettrait de proposer une loi d’abrogation à condition que 185parlementaires s’en saisissent, et que près de 5 millions de citoyens la soutiennent ensuite.Une procédure encore jamais aboutie en France. Si la loi est promulguée malgré tout, les oppositions pourraient déposer une nouvelle proposition de loi visant à revenir sur ses principales dispositions.
Une crise démocratique latente
La séquence révèle une tension croissante entre institutions et société civile. D’un côté, une loi adoptée dans des conditions controversées, de l’autre, une mobilisation populaire massive mais juridiquement limitée. Ce décalage pose une question de fond sur la place réelle des citoyens dans la fabrique de la loi.
Le cas Duplomb montre que l’engagement citoyen peut déplacer les lignes, en forçant les institutions à réagir. Mais il souligne aussi les limites du système représentatif actuel, ou les mécanismes de participation directe restent peu efficaces. Alors que les enjeux environnementaux et sanitaires sont de plus en plus centraux dans le débat public, la capacité des citoyens à se faire entendre ne pourra durablement rester symbolique.